Amour courtois
Barbara Tuchman offre une discussion assez concise de l’amour courtois dans son livre A Distant Mirror. Bien qu’une grande partie du livre doive être utilisée avec prudence comme guide du XIVe siècle, ses mots ci-dessous capturent assez bien l’essence de l’amour courtois :
« Si les tournois étaient une mise en scène de la chevalerie, l’amour courtois en était le terrain de rêve. L’amour courtois était compris par ses contemporains comme l’amour pour lui-même, l’amour romantique, l’amour vrai, l’amour physique, non associé à la propriété ou à la famille… centré sur la femme d’un autre homme, puisque seule une telle liaison illicite ne pouvait avoir d’autre but que le seul amour. . . . Telle que formulée par la chevalerie, l’idylle était dépeinte comme extra-conjugale parce que l’amour était considéré comme sans rapport avec le mariage, était même découragé pour ne pas entraver les arrangements dynastiques.
« Comme justification, l’amour courtois était considéré comme ennoblissant un homme, l’améliorant à tous égards. Il le rendrait soucieux de donner l’exemple du bien, de faire tout son possible pour préserver l’honneur, sans jamais laisser le déshonneur le toucher, lui ou la dame qu’il aimait. À un moindre degré, elle l’amènerait à garder ses dents et ses ongles propres, ses vêtements riches et soignés, sa conversation spirituelle et amusante, ses manières courtoises envers tous, à réfréner l’arrogance et la grossièreté, à ne jamais se bagarrer en présence d’une dame. Par-dessus tout, cela le rendrait plus vaillant, plus preux ; c’était la prémisse de base. Il serait inspiré à de plus grandes prouesses, remporterait plus de victoires dans les tournois, s’élèverait au-dessus de lui-même en courage et en audace, deviendrait, comme l’a dit Froissart, « digne de deux hommes ». Guidée par cette théorie, la femme voyait son statut s’améliorer, moins pour elle-même que comme inspiratrice de la gloire masculine, une fonction plus élevée que celle de simple objet sexuel, de reproductrice d’enfants ou de convoyeuse de biens.
« L’histoire d’amour chevaleresque passait de l’adoration à la déclaration de dévotion passionnée, au rejet vertueux par la dame, à la cour renouvelée avec des serments de fidélité éternelle, à des gémissements de mort prochaine due à un désir insatisfait, à des actes héroïques de bravoure qui gagnaient le cœur de la dame par des prouesses, à la consommation de l’amour secret, suivie d’aventures sans fin et de subterfuges jusqu’à un dénouement tragique. . . . Cela restait artificiel, une convention littéraire, une fantaisie (…) plus pour les besoins de la discussion que pour la pratique de tous les jours. » (66-68)
L’expression « amour courtois » est un terme savant moderne pour désigner l’idée épousée en français médiéval de « Fin Amour ». Ce phénomène est un trope culturel de la fin du XIIe siècle, ou peut-être une convention littéraire qui a capté l’imagination populaire. L’amour courtois fait référence à un code de comportement qui a donné naissance aux idées modernes de romance chevaleresque. Le terme lui-même a été popularisé par les études érudites de C. S. Lewis et Gaston Paris, mais son existence historique reste contestée dans les cercles critiques. Selon les conventions de l’amour courtois, un chevalier de sang noble adore et vénère de loin une jeune femme noble, cherchant à protéger son honneur et à gagner ses faveurs par des actes valeureux. Il tombe généralement malade du mal d’amour, tandis que la femme rejette ou repousse chastement ou dédaigneusement ses avances en public, mais l’encourage en privé. L’amour courtois était associé (A) à la noblesse, car aucun paysan ne peut s’engager dans un » bel amour » ; (B) au secret ; (C) à l’adultère, car souvent l’un ou les deux participants étaient mariés à un autre noble ou piégés dans un mariage peu aimant ; et (D) paradoxalement à la chasteté, car la passion ne pouvait jamais être consommée en raison des circonstances sociales, il s’agissait donc d’un » amour supérieur » non souillé par des désirs charnels égoïstes.
On trouve un exemple de cette attitude dans Le Courtier de Castiglione, qui présente un regard de la Renaissance sur cet idéal médiéval :
Je tiens qu’un gentilhomme de valeur, qui est amoureux, doit être sincère et véridique en cela comme en toutes autres choses ; et s’il est vrai que trahir un ennemi est une bassesse et un tort des plus abominables, songez combien plus grave doit être considérée l’offense quand elle est faite à celui que nous aimons. Et je crois que tout amant doux endure tant de labeurs, tant de veilles, s’expose à tant de dangers, verse tant de larmes, utilise tant de moyens pour plaire à sa dulcinée – non pas principalement pour posséder son corps, mais pour prendre la forteresse de son esprit et briser ces diamants les plus durs et faire fondre cette glace froide, qui se trouvent souvent dans les tendres poitrines des femmes – et je crois que c’est là le vrai et sain plaisir et le but visé par tout noble cœur. Certes, si j’étais amoureux, je préférerais être sûr que celle que je servais me rendait l’amour de son cœur et me donnait son moi intérieur – si je n’avais pas d’autre satisfaction de sa part – plutôt que de prendre tout le plaisir avec elle contre sa volonté ; car dans ce cas, je me considérerais simplement comme le maître d’un corps sans vie. Ainsi, ceux qui poursuivent leurs désirs par ces ruses, qu’on pourrait peut-être plutôt appeler des trahisons que des ruses, font du tort à autrui, et n’obtiennent pas cette satisfaction réelle que l’on recherche dans l’amour, s’ils possèdent le corps sans la volonté. Je dis la même chose de certains autres qui, dans leur amour, se servent d’enchantements, de charmes, tantôt de force, tantôt de potions somnifères, et autres choses semblables. Et vous devez savoir que les présents font beaucoup pour diminuer les plaisirs de l’amour ; car un homme peut soupçonner qu’il n’est pas aimé, mais que sa dame fait mine de l’aimer pour en tirer quelque profit. Par conséquent, vous voyez que l’amour de quelque grande dame est prisé parce qu’il semble qu’il ne puisse provenir d’aucune autre source que celle d’une affection réelle et véritable, et il ne faut pas croire qu’une si grande dame ferait jamais semblant d’aimer un inférieur si elle ne l’aimait pas réellement.
–Le Livre du Courtier, livre 2, paragraphe 94.
Les écrits de Castiglione trouvent leur origine au début du XVIe siècle et à la fin du XVe siècle, mais ils incarnent très largement des idéaux antérieurs. À la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, les Règles de l’amour courtois d’Andreas Capellanus constituent un guide satirique de l’entreprise en proposant un ensemble de « règles » hyperboliques et auto-contradictoires pour ce jeu de cour. Chrétien de Troyes fait également la satire des conventions dans sa littérature courtoise. Des conventions similaires influencent la poésie de Pétrarque et les sonnets de Shakespeare. Ces sonnets mettent souvent l’accent, en particulier, sur l’idée d’un » amour lointain » et d’un » amour non partagé « , et font appel à des images et des formulations communes à la tradition française antérieure.