Les antagonistes comparés
John Montagu, 4e comte de Sandwich, premier lord de l’amirauté, lors des débats parlementaires du début de l’année 1775, déclare que l’armée britannique pourrait facilement soumettre les colons. L’opinion de Lord Barrington, non acceptée par ses supérieurs, selon laquelle il fallait se fier principalement à un blocus naval, était, comme l’histoire l’a révélé, un bon conseil, car il aurait coûté moins cher en sang et en trésor à la Grande-Bretagne de perdre la guerre en faisant confiance au blocus naval qu’elle ne l’a fait en réalité. Il n’est pas non plus certain du tout que le plan de Barrington n’aurait pas apporté la victoire. Un blocus qui aurait gravement nui à l’économie américaine, sans coûter la vie à des Américains, n’aurait peut-être pas poussé les colons à rechercher l’indépendance et aurait peut-être abouti à un compromis anglo-américain. En tout état de cause, les navires et les cargaisons américains saisis auraient permis de réaliser des profits, et l’utilisation de l’armée uniquement comme auxiliaire aurait permis d’économiser de l’argent. Néanmoins, le ministère s’est rangé à l’avis de Sandwich, a tenté d’envahir les colonies, n’a pas réussi à atteindre cet objectif et a finalement dû reconnaître sa défaite.
En employant des moyens sanctifiés par la tradition pour mater la rébellion, la Grande-Bretagne n’a pas jeté toutes ses chances de succès. La Grande-Bretagne possédait des avantages importants, même dans le genre de guerre qu’elle a menée après 1775. Sa population était environ quatre fois supérieure à celle des colonies américaines. De plus, peut-être pas plus de la moitié des Américains étaient de fermes patriotes, un quart d’entre eux étant neutres et un autre quart étant des adhérents du gouvernement britannique. D’autre part, il n’y avait pas beaucoup d’enthousiasme en Grande-Bretagne pour la guerre jusqu’à l’intervention de la France. La Grande-Bretagne possède une marine que les patriotes ne peuvent espérer défier ; son gouvernement est établi de longue date ; elle peut fabriquer tout l’équipement militaire nécessaire ; elle possède une grande richesse économique ; et elle dispose à la fois de liquidités et de crédit. D’autres sources de force étaient l’expérience de ses officiers de l’armée et de la marine et la possession de milliers de vétérans qui avaient combattu sur terre et sur mer. D’autre part, les patriotes ont pu mettre plus d’hommes sur les théâtres de guerre que la Grande-Bretagne, même si des milliers de loyalistes s’étaient ralliés aux couleurs britanniques. Dans très peu de batailles de la guerre, les Américains étaient en infériorité numérique. De plus, les patriotes pouvaient envoyer et ont envoyé des navires et des marins en mer pour porter des coups sévères à la marine marchande britannique. Ils disposaient d’une richesse de base suffisante pour mener une longue lutte, même s’ils avaient du mal à mettre cette richesse au service de l’armée, car l’argent et le crédit américains n’étaient pas abondants.
La géographie favorisait fortement les Américains, car les 3 000 miles (4 800 km) d’eau qui les séparaient des îles britanniques imposaient aux Britanniques un grand problème d’approvisionnement et rendaient la communication entre les officiers britanniques sur le terrain et leurs supérieurs à Londres lente et incertaine. L’étendue même des États-colonies militait contre le succès britannique. Un autre atout très important pour les Américains était le fait que la perte de plusieurs de leurs villes ne diminuerait pas sérieusement leur capacité de résistance. L’Amérique était dans sa forme et sa substance quelque chose comme un serpent sans organes vitaux. Il était particulièrement avantageux pour les patriotes de pouvoir se replier à l’intérieur des terres, gagnant en force au fur et à mesure de leur retraite, tandis que les forces britanniques diminuaient nécessairement au fur et à mesure de leur poursuite, étant obligées de maintenir des bases et des lignes de ravitaillement. L’armée britannique devait perdre plusieurs batailles majeures dans l’intérieur. De plus, il n’était pas nécessaire pour les Américains de détruire les forces britanniques ; il leur suffisait de garder le terrain jusqu’à ce que la Grande-Bretagne se lasse du conflit. En outre, les patriotes connaissaient bien leur propre pays, et leur cause suscitait chez beaucoup d’entre eux une superbe et durable dévotion.
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