Les informations des articles précédents de cette série peuvent être utilisées pour concevoir les schémas posologiques.
1. Dosage par perfusion intraveineuse et bolus intraveineux intermittent
Les perfusions intraveineuses continues et les bolus intraveineux intermittents sont des modes d’administration courants de médicaments tels que la gentamicine, la lignocaïne et la théophylline. La figure 1 illustre l’évolution de la concentration plasmatique de la théophylline administrée par voie intraveineuse. Administré en perfusion continue, le médicament s’accumule jusqu’à une concentration à l’état d’équilibre (Css) déterminée uniquement par le débit de dose et la clairance (CL) (voir article 1 « Clairance » Aust Prescr 1988;11:12-3). Le débit de dose d’entretien
pour atteindre une concentration souhaitée peut être calculé si la clairance est connue.
équation 1
Concentration souhaitée (Css) = débit de dose d’entretien / CL
Le temps nécessaire pour atteindre l’état d’équilibre est déterminé par la demi-vie (3-5 demi-vies, voir article 3 ‘Demi-vie’ Aust Prescr 1988 ; 11:57-9). Si des doses intermittentes en bolus sont administrées à chaque demi-vie (8 heures dans ce cas pour la théophylline), la moitié de la première dose est éliminée au cours du premier intervalle d’administration. Par conséquent, après la deuxième dose, il y a 1,5 dose dans l’organisme et la moitié de cette quantité est éliminée avant la troisième dose. Le médicament continue à s’accumuler avec la poursuite de la prise jusqu’à ce qu’il y ait le double de la dose dans l’organisme, auquel cas l’équivalent d’une dose est éliminé à chaque intervalle posologique (demi-vie). La concentration plasmatique est alors à l’état d’équilibre (la vitesse d’administration est égale à la vitesse d’élimination où chaque dose correspond à une dose par intervalle posologique). A l’état d’équilibre avec un intervalle de dosage égal à la demi-vie :
- la concentration plasmatique fluctue deux fois au cours de l’intervalle de dosage
- la quantité de médicament dans l’organisme peu après chaque dose est équivalente à deux fois la dose d’entretien
- la concentration plasmatique à l’état d’équilibre moyennée sur l’intervalle de dosage est la même que la concentration plasmatique à l’état d’équilibre pour une perfusion continue au même débit de dose (voir figure 1).
2. utilisation d’une dose de charge
L’effet d’une dose de charge avant une perfusion intraveineuse a été discuté dans l’article 2 (« Volume de distribution » Aust Prescr 1988;11:36-7). La dose de charge pour obtenir une concentration désirée est déterminée par le volume de distribution (VD).
équation 2
Dose de charge = concentration désirée x VD
Fig. 1
Intraveineuse en perfusion ou en dosage intermittent d’un médicament tel que la théophylline.
(a) Perfusion intraveineuse continue à un débit de dose de 37,5 mg/heure
(b) Dosage intermittent en bolus de 300 mg toutes les 8 heures (le débit de dose (dose/intervalle de dosage) est de 37,5 mg/heure)
(c) Comme pour (b) mais avec une dose de charge de 600 mg, soit deux fois la dose d’entretien
Les paramètres utilisés dans les simulations étaient : CL = 2,6 L/heure, VD = 30 L, t1/2 = 8 heures. A l’état d’équilibre, la concentration plasmatique moyenne sur l’intervalle de dosage est la
même que celle pendant une perfusion continue (14,4 mg/L dans ce cas). La marge thérapeutique de la théophylline est de 10 à 20 mg/L (55 à 110 mmol/L).
Si la dose de charge permet d’atteindre une concentration plasmatique du médicament identique à la concentration à l’état d’équilibre pour la perfusion d’entretien (voir équation 1), l’état d’équilibre sera immédiatement atteint et maintenu. Si la dose de charge dépasse ou sous-estime la concentration d’état d’équilibre, il faudra encore 3 à 5 demi -vies pour atteindre Css (voir article 2), mais la concentration initiale sera plus proche de la concentration d’état d’équilibre éventuelle.
Avec une administration intermittente en bolus, la figure 1 montre que lorsque l’intervalle de dosage est égal à la demi-vie du médicament, une dose de charge égale à deux fois la dose d’entretien permet d’atteindre immédiatement l’état d’équilibre. La moitié de la dose de charge (une dose d’entretien) est éliminée dans le premier intervalle de dosage (une demi-vie) et est ensuite remplacée par la première dose d’entretien et ainsi de suite.
L’utilisation d’une dose de charge en bolus peut parfois poser des problèmes si des effets indésirables se produisent en raison des concentrations plasmatiques initiales élevées du médicament avant que la redistribution ne se produise. C’est le cas par exemple avec la lignocaïne, où une toxicité sur le SNC se produit si une dose de charge trop élevée est administrée trop rapidement. Dans cette situation, une perfusion de charge ou une série de perfusions de charge peut être utilisée pour permettre à la redistribution de se produire pendant l’administration de la dose de charge. (Un schéma courant pour la lignocaïne consiste à administrer une dose intraveineuse initiale de 1 mg/kg, suivie de jusqu’à 3 injections supplémentaires en bolus de 0,5 mg/kg toutes les 8 à 10 minutes si nécessaire, et d’une perfusion d’entretien de 2 mg/minute.)
Un autre exemple est la digoxine, où il est courant que la dose de charge soit divisée en 3 parties administrées à 8 heures d’intervalle. La digoxine est lentement distribuée vers son site d’action, de sorte que l’effet complet d’une dose n’est pas observé avant environ 6 heures (voir article 2). Le fait d’administrer la dose de charge en plusieurs parties permet d’observer le plein effet de chaque incrément avant d’administrer le suivant, de sorte que la toxicité potentielle peut être évitée.
3. Effets de la variation de l’intervalle entre les doses
Jusqu’à présent, nous avons considéré un intervalle entre les doses égal à la demi -vie du médicament. La figure 2 montre le profil de concentration plasmatique en fonction du temps pour une dose intraveineuse unique quotidienne en bolus de médicaments dont la demi-vie est de 6 heures, 24 heures et 96 heures (0,25, 1 et 4 fois l’intervalle de dosage de 24 heures). Pour le médicament ayant une demi-vie de 6 heures (caractéristique de la théophylline), la concentration est pratiquement à l’état d’équilibre peu après la première dose, mais il y a une grande fluctuation (94 %) au cours de l’intervalle posologique ((Cmax – Cmin) divisé par Cmax = 0,94). Pour le médicament ayant une demi-vie de 24 heures (caractéristique de l’amitriptyline), il faut 3 à 5 demi-vies pour atteindre l’état d’équilibre et la fluctuation sur l’intervalle posologique est de 0,5. Pour le médicament ayant une demi-vie
de 96 heures (caractéristique de la phénobarbitone), il faut 12 à 20 jours (3 à 5 demi-vies) pour atteindre l’état d’équilibre et, avec une prise quotidienne unique (4 doses par demi-vie), l’ampleur de la fluctuation sur l’intervalle posologique est faible ((Cmax – Cmin) divisé par
Cmax = 0,16).
Un intervalle posologique d’environ une demi-vie est approprié pour les médicaments ayant des demi-vies d’environ 8 à 24 heures permettant une prise une, deux ou trois fois par jour. Il n’est généralement pas possible d’administrer plus fréquemment des médicaments dont la demi-vie est plus courte. Si un tel médicament a un indice thérapeutique important, de sorte qu’un degré élevé de fluctuation sur l’intervalle de dosage n’entraîne pas de toxicité due à des concentrations maximales élevées (par exemple, de nombreux antibiotiques et médicaments bêta-bloquants), il peut être administré à des intervalles plus longs que la demi-vie. Par exemple, le profil de concentration plasmatique en fonction du temps présenté à la figure 2A est similaire à celui de la gentamicine lorsque des doses intraveineuses sont administrées toutes les 8 heures (la demi-vie est de 1 à 2 heures).
Fig. 2
Profils de concentration plasmatique en fonction du temps pour des médicaments dont la demi-vie est de 6, 24 ou 96 heures, administrés une fois par jour
(A) La demi-vie est de 6 heures (par exemple, la théophylline)
(B) La demi-vie est de 24 heures (par exemple, l’amitriptyline)
(C) La demi-vie est de 96 heures (par exemple, la phénobarbitone)
Voir le texte pour les explications.
En revanche, si le médicament a un faible index thérapeutique et que les concentrations plasmatiques doivent être maintenues dans une marge thérapeutique étroite (ex. la théophylline avec une marge thérapeutique de 10-20 mg/L (55-110 mmol/L)), l’utilisation d’une formulation à libération prolongée sera nécessaire.
Si le médicament a une demi-vie très longue (par exemple la phénobarbitone avec une demi-vie de 4 jours), une administration uniquotidienne peut encore être appropriée et pratique. La fluctuation au cours de l’intervalle de dosage sera faible, mais il ne faut pas oublier qu’il faudra encore 3 à 5 demi-vies (12 à 20 jours dans cet exemple) pour atteindre l’état d’équilibre. Une dose de charge peut être utilisée, mais elle n’est pas toujours réalisable si une tolérance aux effets indésirables se produit lorsque le médicament s’accumule progressivement jusqu’à l’état d’équilibre. Par exemple, à partir de l’équation 2, la dose de charge de phénobarbitone pour atteindre une concentration plasmatique de 30 mg/L (au milieu de la fourchette thérapeutique pour l’activité anticonvulsivante) serait d’environ 1,5 g – une dose létale pour un individu non tolérant
(dose de charge = C x VD = 30 mg/L x 50 L).
Fig. 3
Effet de la vitesse d’absorption et de la biodisponibilité sur le profil temps concentration plasmatique. L’exemple est caractéristique de la théophylline chez les enfants qui métabolisent le médicament plus rapidement que les adultes. Notez l’effet de la préparation à libération prolongée qui réduit le degré de fluctuation sur l’intervalle de dosage et permet un dosage sur 12 heures pour un médicament ayant une demi-vie courte et un index thérapeutique étroit (plage thérapeutique de 10-20 mg/L (55-110 mmol/L)). Le ka est la constante de vitesse d’absorption (une mesure de la vitesse d’absorption de la même manière que la constante de vitesse d’élimination est une mesure de la vitesse d’élimination).
Les paramètres utilisés dans les simulations étaient :
Dosage = 13 mg/kg/12 heures (1,08 mg/kg/heure),
VD = 0.5 L/kg, t1/2 = 4 heures, CL = 0,086 L/heure/kg,
F = 1
(a) absorption instantanée (dosage en bolus intraveineux)
(b) ka = 1,5/heure similaire à une formulation orale à absorption rapide
(c) ka = 0,15/heure similaire à une formulation à libération prolongée
(d) comme pour (c) sauf que la biodisponibilité (F) = 0.5
D’après l’équation 3 :
pour (a), (b) et (c), la Css est de 12,6 mg/L et
pour (d), la Css est de 6,3 mg/L en raison de la biodisponibilité réduite
4. Dosage oral
Les principes s’appliquant au dosage intraveineux intermittent s’appliquent également au dosage oral avec deux différences (Fig. 3) :
- L’absorption plus lente des doses orales » lisse » le profil de concentration plasmatique, de sorte que la fluctuation au cours de l’intervalle de dosage est moindre qu’avec un bolus intraveineux. Cet effet de lissage est exagéré avec les formulations à libération prolongée (voir article 3 et figure 3), permettant une administration moins fréquente pour les médicaments à demi-vie courte.
- la dose atteignant la circulation systémique est affectée par la biodisponibilité de sorte qu’à l’état d’équilibre
équation 3
Concentration souhaitée (Css) = F x débit de dose orale / CL
où F est la biodisponibilité (comparer avec l’équation 1 et voir l’article 5 ‘Bioavailability and first pass clearance’ Aust Prescr 1991;14:14-6). La relation entre les débits de dose orale et intraveineuse pour obtenir la même Css est alors (en combinant les équations 1 et 3)
équation 4
Débit de dose orale = débit de dose intraveineuse / F
Par exemple, la biodisponibilité orale de la théophylline est presque complète (F = 1) de sorte que les débits de dose orale et intraveineuse sont à peu près les mêmes. La morphine a une biodisponibilité orale d’environ 0,2 en raison d’un métabolisme de premier passage important, de sorte que pour obtenir des concentrations plasmatiques et des effets cliniques similaires, les débits de dose oraux doivent être environ 5 fois supérieurs aux débits de dose intraveineux (débit de dose intraveineux/0,2).
Les autres voies d’administration et les formes posologiques spéciales doivent également être prises en compte. L’administration parentérale par voie intramusculaire ou sous-cutanée donnera des profils d’absorption similaires à ceux observés lors de l’administration orale. L’absorption à partir des sites intramusculaires peut être très lente pour certains médicaments tels que la phénytoïne et le diazépam, et peut être erratique si le flux sanguin tissulaire est perturbé comme dans le cas d’un choc. Les formulations parentérales à libération prolongée, de médicaments antipsychotiques par exemple, sont utilisées pour donner une absorption lente (mais parfois variable) sur des semaines à des mois à partir d’une injection intramusculaire de dépôt permettant un dosage peu fréquent et assurant l’observance.
L’administration percutanée de médicaments tels que le trinitrate de glycéryle ou les œstrogènes évite le métabolisme de premier passage et fournit une vitesse d’absorption lente imposée par la vitesse de transfert à travers la peau ou la vitesse de libération de la formulation du patch.
5. Résumé
La dose de charge intraveineuse est déterminée par le volume de distribution :
Dose de charge = concentration souhaitée x VD
Le débit de la dose d’entretien orale est déterminé par la clairance et la biodisponibilité et la concentration plasmatique souhaitée à l’état d’équilibre :
Maintenance dose rate = CL x Css / F
The time to reach steady state is determined by the elimination half-life:
Time to steady state = 3-5 half-lives
The degree of plasma concentration fluctuation over the dosing interval is determined by:
- the half-life
- the absorption rate
- the dosing interval